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1908, tandis que se déroulent les gigantesques festivités de l’Exposition franco-britannique qui scellent l’Entente cordiale, Sem joue à Gulliver et expose son premier diorama.

Après Périgueux, Bordeaux, Marseille et Paris, il convoite Londres. Anglophile depuis sa période bordelaise, notre piquant caricaturiste n’en est pas à son premier séjour, ni à sa première exposition.1 Il s’y chausse, s’y coiffe et s’y habillera sa vie durant.
« Fatigué de la vue de Paris. J’avais besoin de me rincer l’œil… »2 Il y fait de fréquents séjours, toujours en quête de nouvelles silhouettes et physionomies à croquer et de débouchés pour ses albums.

Ce diorama est un aboutissement naturel des albums : Le Turf et les Acacias, transposés outre-Manche avec quelques personnalités communes.

« Assidu à toutes les grandes réunions sportives de New-Market, Epsom, Sandown et Goodwood, ayant assisté aux grandes semaines de régates de Cowes, il [Sem] pu croquer, dans ces diverses pérégrinations, les personnages les plus en vue du turf et du yachting. Et c'est cet ensemble qu'il vient de présenter au Fine Art Gallery. Le succès est complet, car le Tout-Londres y a défilé dans les salles d'exposition de Bond Street. Il faut reconnaître qu'il est mérité. Sem a su grouper ses personnages, les habiller, les colorier et donner à chacun sa personnalité.
Le décor est très soigné. Sur un fond d'arbres se détachent des jockeys, des chevaux sortant du paddock, et autour d'eux plusieurs groupes de sportsmen. Au premier rang, le roi Edouard, dont la silhouette, toute de vérité, est légèrement flattée. Et, causant avec lui, le marquis de Soveral, ministre de Portugal, un favori de Sa Majesté ; sir E. Cassel, qui est une véritable caricature vivante ; le comte de Lonsdale, l'homme de cheval par excellence ; lord Durham, le propriétaire d'une des plus grandes écuries ; lord Hartop, dont la caricature est frappante de vie ; MM. Chaplin, Fitzgerald, Joël-Barnato.
Vis-à-vis, Sem a représenté la terrasse du fameux Royal Yacht Squadron, à Cowes dont le commodore marquis d'Ormonde fait brillante figure au premier plan ; à côté de lui l'amiral Montagu, le prince Batthyany-Strattmann, lord Ribbesdale, etc. »3




Figures auxquelles il faut rajouter : la duchesse de Saint-Albans, Ralph Nevill, M. Cosmo, Gordon Lennox, lord Eudlord, lord Villiers, Neil Primrose, Leopold et Lionel de Rothschild, lord Saville, Mrs Saba Raleigh et miss Marie Tempest.
2

L’ensemble du diorama fut acheté le jour du vernissage par lord Lonsdale qui l’offrit, pour sa fête au roi Édouard VII.
Cet enfouissement dans les collections royales prit de court Sem qui voulait prolonger son travail par un album anglais.
Après le décès du roi en 1910, la collection des courses d'Ascot fut léguée au National Horseracing Museum de Newmarket, où elle est toujours conservée.

Porté par ce succès, Sem associé à Roubille réalise un album-frise de 9 mètres, Sem au Bois, ayant pour thème le Tout-Paris en promenade au Bois (actuelle avenue Foch), où l’on voit défiler toutes les élégances de la vie parisienne dont quelques silhouettes anglaises.

La grande semaine

Album démesuré qu’ils vont transposer en un gigantesque diorama composé de centaines de figurines et de voitures découpées et peintes en contreplaqué, disposées sur 5 ou 6 plans devant une toile de fond, aujourd’hui disparue. Piétons, voitures à cheval et automobiles formaient la cohue bien parisienne, colorée et vivante de la Belle-Époque.
Cette installation qui mesurait plus de 11 mètres de long fut présentée du 19 novembre 1909 au 8 janvier 1910 à la Galerie Brunner. Voici ce qu’écrivait le galeriste : « Le très vif succès qu’obtient ce diorama que nous présentions l’avant dernière semaine à nos lecteurs, n’a fait que s’affirmer. Il a reçu sa définitive consécration par la visite du roi du Portugal qui, avide de connaître toutes les curiosités de Paris, s’est rendu la dernière journée de son séjour, à la galerie Brunner, 11 rue Royale, dont Sem fait les honneurs. Et ce fut pour le jeune souverain une vraie joie que de retrouver, dans cette amusante foule de pygmées quelques personnages de sa connaissance. C’est ce même divertissement que nous offrons à nos lecteurs en reproduisant ici tout l’ensemble de l’œuvre des deux spirituels caricaturistes. Nous nous sommes bornés à indiquer quelques-uns des personnages. Les curieux un peu renseignés sur la vie parisienne pourront compléter aisément cette nomenclature : il leur reste de quoi se distraire un moment ».

La célèbre revue L’Illustration, en date 27 novembre 1909, lui consacra un article et la totalité du défilé dans celui du 11 décembre et Je sais tout publia la photo de Sem et Roubille, gullivers en pleine installation. L’événement fut immortalisé sous la forme d’un dépliant photographique accompagné d’une notice avec les noms des personnes. Il se composait d’une soixantaine de voitures et d’environ 220 personnages de 25 à 28 cm centimètres. Les autres, figurants, militaires, agents de police, cochers, chauffeurs, chevaux, chiens et voitures étaient de Roubille. La circulation se fait de droite à gauche. Quelques personnalités, à pied, remontent ce défilé, se rencontrent, s’agglutinent, discourent, des enfants jouent, des chiens s’égaillent, des couples ainsi qu’un pensionnat avec sœur surveillante se promènent, un titi vend ses journaux à la criée, un groupe de sergents de ville arpente l’avenue et la garde républicaine défile sur de racés destriers. Le tout devant un parterre de badauds parmi lesquels quelques personnages de dos, pour créer profondeur et véracité, silhouettes fort reconnaissables d’un Sem prédécesseur de Cardon du Canard enchaîné.
Aux silhouettes peintes directement à la gouache sur contre-plaqué, Sem a contrecollé leurs portraits sur papier. Les personnages de Roubille ont des visages volontairement imprécis et leurs teintes plus fondues. Certaines dames sont accessoirisées avec des mousselines et autres fanfreluches tandis que ces messieurs, mordus de turf, portent en bandoulière un étui à jumelles.

On remarquera des voitures, toutes différentes, en volume en bois fort détaillées, une tapissière avec un attelage de deux chevaux et trois chevaux en flèche, d’une longueur de 150 cm. Elle est animée par un cocher et 15 passagers. Des voitures à chevaux en silhouette : une voiture avec une dame en noir, un spider dame, un spider homme, deux phaétons, une Victoria, un mail coach, une auto en silhouette conduite par un chauffeur de Roubille. Les voitures ont pour passagers : le roi d’Angleterre, le roi des Belges… les grands de ce monde, célébrités du théâtre, des arts, du sport, des affaires, de la vie parisienne et de l’esprit français. Les auteurs n’ont pas manqué de se représenter : Sem à bord d’une automobile tandis que Roubille est à pied.

Mai 1911, Paris est en route pour Londres et défilera à la Fine Art Gallery jusqu’en juin, avant d’être partagé et remisé entre les auteurs.

Parmi les pièces restantes, on trouve bon nombre de silhouettes de chevaux en bois brut, les mêmes personnages en diverses tailles et supports (qui ne sont que des ajustements pour l’installation), et certaines voitures trop volumineuses semblent des essais non confirmés.


Jacqueline Molher/
François San Millan




        chien

1) John Baillie Gallery, Baker Street 54, Londres, 1907.
2) New York Herald Tribune, 15/09/1912.
3) Le Gaulois n° 11.225, 08/07/1908, « La caricature à Londres ».

Diorama britannique :
- Catalogue of an exhibition of caricatures in water-colour and wood of racing, yachting and social personages by Sem, Fine Art Society, juin 1908.
- Le Figaro n° 167, 15/06/1908, « La caricature à Londres ».
- « The art of Sem », M. H. S., The Graphic, 20/06/1908
- Le Gaulois n° 11.225, 08/07/1908, « La caricature à Londres ».
- Le Gaulois n° 11.228, 11/07/1908, « pointes sèches ».
- Le Figaro n° 317, 12/11/1908.
- New York Herald Tribune, 15/09/1912.
- Pall Mall Gazette, 30/09/1912.
- Observer magazine, 08/04/1979, « Painted plywood figures of celebrated racegoers ».

Diorama français :
- Fémina n° 212, 15/11/1909, « Tout paris avenue du Bois par Sem et Roubille ».
- L'Illustration n° 3.485, 11/12/1909, « Tout paris avenue du Bois ».
- Dimanche illustré n° 3.484, 05/12/1909.
- Comœdia n° 797, 05/12/1909, "Silhouettes parisiennes de Sem et Roubille", André Warnod
- L'Illustration n° 3.485, 11/12/1909, « Tout Paris avenue du Bois par Sem et Roubille ».
- Fantasio, janvier 1910, « La grande semaine », Robert de Montesquiou, repris et augmenté sous le titre « Le film immobile », Têtes d'expression, Émile-Paul, 1912
- Les Annales n° 1381, 12/12/1909, « La comédie picturale », par Léon Plée.
- Je sais tout n° 61, 15/02/1910, « Curiosités, 15 déc. 1909-15 jan. 1910 : Tout paris avenue du Bois ».
- Die Woche n° 22, 28/05/1910, « Tout Paris in der karikatur », Karl Eugen Schmidt.
- Fémina n° 226, 15/06/1910, « Tout Paris avenue du Bois par Sem et Roubille ».
- Les Annales n° 1.531, 27/10/1912.
Site de l'Association de la Régie Théâtrale :
- Collection (Roubille) de l'A.R.T. (Association de la Régie théâtrale)
dio bond street Une vue du diorama Anglais, exposé à la galerie Fine Art Society, Londres, 1908.
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spot Conception François San Millan et Martin Gouyou-Beauchamps