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Le petit monde de Périgueux ne pouvait suffire au talent et à l'ambition de Sem ; il quitte sa ville natale et arrive dans la métropole bordelaise en 1890.
« J'allai souvent à Bordeaux, qui me paraissait une capitale, la Ville par excellence. J'y connaissais beaucoup de monde, tous les hommes illustres des Quinconces. « Pourquoi ne tenterais-tu pas à Bordeaux, me dis-je, ce qui t'a réussi à Périgueux. » Je m'installai donc quelque temps à Bordeaux, et Bordeaux-Revue vit le jour. Le succès en fut épatant ; il était d'une autre pointure que ceux de Périgueux; un cèdre du Liban à côté de clous de girofle. »1

A mi-chemin du dépaysement utile à l'évolution de son regard et d'une proximité rassurante, Bordeaux sera le milieu d'incubation de l'engagement artistique de toute une vie. À Bordeaux, Sem confirme la force évocatrice de ses caricatures dans la presse. Soutenu par Paul Berthelot, homme de presse, journaliste et rédacteur en chef de La Gironde il devient un familier du cercle de cet intellectuel curieux et cultivé où son esprit vif et son dandysme séduisent. Dans la maison Berthelot où il a ses entrées, Sem est confronté avec les toiles des maîtres qu'il admire.

L'amitié entre le jeune Sem et l'homme de presse confirmé renforcera les liens de travail et sera à l'origine de rencontres artistiques qui formeront Sem et lui ouvriront des portes plus tard à Paris.
Bordeaux, où l'activité portuaire est encore présente, son architecture, le commerce qu'elle entretient avec l'Angleterre, aiguisent la vitalité de Sem et l'acuité de son œil. Le port de la lune, le pont de pierre, le grand théâtre en témoigneront. L'art de vivre du pays gascon qui règne dans le milieu cultivé où il évolue, l'ancrera durablement dans cet équilibre entre vie mondaine, production artistique doublée d'une attention à la fabrication proche de l'artisanat et commercialisation de son travail. L'orientation de sa production vers une forme d'auto-édition où entrent peu d'intermédiaires entre l'artiste fabricant et son public, prendra naissance à Bordeaux.
Cette métropole florissante sera le terrain d'expérimentations où Sem mettra au point à la fois les conditions de sa production et de sa survie artistique, sans sacrifier à ce déplacement esthétique qu'opère son travail dès l'époque bordelaise. On le voit rompre avec le ton dominant de la caricature humoristique au profit de véritables portraits en action.
Lors d’un séjour estival à Royan, un ami lui conseille de monter à Paris. Il s’y rend, pénètre le monde de l'escrime et se lie avec Régamey, Prévost et Kirchhoffer.2 Périvier directeur du Figaro, avec qui il tire tous les soirs lui commande des dessins pour un supplément spécial sur l'escrime. Le supplément ne parut pas. « J'étais déçu, navré. Mon premier début à Paris me fit regretter Bordeaux, ses pompes et mes œuvres. Je revins à Bordeaux. »1

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Pour l’Exposition internationale de Bordeaux en 1895, « J'eus l'idée de créer, […] un théâtre où l'on verrait, au moyen de projections, des silhouettes, grandeur nature, le défilé très ressemblant des célébrités et des originaux bordelais. J'établis très minutieusement les maquettes de mes types. Malheureusement, l'entrepreneur qui avait construit ce théâtre s'était trompé dans ses calculs ; le recul pour les projections n'a pas été suffisant ; ça n'a pas marché. Vanity-fair, ainsi s'appelait cette scène spéciale, m'a coûté une quinzaine de mille francs, dépensés en pure perte. Cet insuccès me décide à porter ailleurs mes crayons et je jette mon dévolu sur Marseille. »1

Françoise Gouyou-Beauchamps


1) « Sem ou l’épicier caricaturiste », par Joseph Galtier, Le Temps n° 15.168, 24/12/1902.
2) Félix Régamey (1844-1907), caricaturiste ; Gabriel Prévost et Alphonse Kirchhoffer (1873-1913), maîtres d’armes.

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spot Conception François San Millan et Martin Gouyou-Beauchamps