Sem devient parisien en mars 1900, avec l'ouverture de l'Exposition Universelle. Il aura trente-sept ans à l'automne. Il maîtrise parfaitement son style : sa signature est fixée, Georges Goursat ou Georges Sem, ou Sem' est devenu Sem.

Son génie a consisté à ne rien changer à la formule gagnante de l'album publié à compte d'auteur, formule qui va lui assurer dans la capitale une parfaite reconnaissance quelques mois après son arrivée. Il va suivre les «  mondains », désormais cible favorite puisqu'elle donne les clefs de la notoriété. Il « prélève » les silhouettes des célébrités dans la fièvre des champs de courses et livre en un album une représentation synthétique, allusive et remarquable du Tout-Paris.

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Sa réputation est faite avec Le Turf qui sort en juin, mis en vente le jour du Grand Prix de Paris à Longchamp, preuve d'un parfait sens commercial. On ne peut faire plus proche de sa cible mais la réception en sera d'autant plus angoissante. Sem est inquiet jusqu'à l'heure du verdict : l'album s'arrache et est épuisé avant que chaque personnalité croquée ait pu en acquérir un exemplaire. Sem qu'on confondait jusque là avec un jockey à cause de sa petite taille et de sa minceur devient une des figures des cercles parisiens.
À partir de cette entrée comme par effraction dans un monde auquel sa condition de fils de bourgeois périgourdin ne le prédisposait aucunement, tout son effort portera désormais sur la bonne distance à entretenir avec ce monde pour conserver la liberté créatrice qui, seule légitime sa proximité avec les grands de ce monde. Le provincial périgourdin sera invité aux tables princières, faisant de ses convives les modèles de ses caricatures. L'autre milieu confortant l'assise parisienne de Sem est celui de la presse qui connaît son âge d'or autour de 1900.
Elle a accueilli ses premiers dessins en province et Sem n'a pas attendu sa « montée » à Paris, pour avoir les honneurs de la presse nationale : il a déjà publié au Rire. Paul Berthelot le bordelais, Jean Lorrain ou Henri Letellier, patron du Journal lui ont ouvert les colonnes et les portes de ce milieu influent. Le dessin y est encore majoritaire à côté de quelques photos de faible qualité, Sem s'y forgera une identité visuelle à côté des aînés. Cette presse polémique, partisane et vivante s'enorgueillit de célèbres signatures Forain, Abel Faivre, Steinlein. Sem aura l'habileté de livrer ses dessins dans tout le spectre de la presse sans être attaché à aucun journal, une manière de conserver sa liberté.

L'arrivée de Sem à Paris coïncide avec une période d'extraordinaire effervescence dans laquelle Sem va se couler. L’exposition coloniale, vitrine d’une France riche d’un large empire et d’une industrie florissante qui sait contribuer à l’essor des arts, occupe tous les Parisiens. Sem va accompagner et contribuer à forger les mythes du début du xxe siècle foi en la modernité et aux conquêtes du progrès.
Dans cette période où la fée électricité remplace peu à peu l'allumeur de réverbères, où les trouées haussmanniennes voient ajouter au flot ininterrompu des attelages quelques automobiles, Paris est le centre de la vie mondaine et artistique. Les élites industrielles et financières sont animées d'une foi dans le progrès et l'art, héritée de l'idéal des Lumières. La culture française exerce un rayonnement dans l'ensemble de l'Europe et au-delà. C'est une cité cosmopolite, où se croisent les artistes d'avant-garde de toute l'Europe, peintres, ballets russes comme les princes attirés par la Ville-Lumière.
2 vieuxLa bourgeoisie parisienne figure au sommet de cette pyramide sociale qui vit dans l'impérieux besoin de se montrer. Les parisiens se font admirer dans leur attelage et leur tenue d'apparat. La promenade au Bois est une véritable institution, et fait l'objet de nombreuses représentations, édition de cartes postales photographiques d'anonymes et de grands de ce monde. Les sorties au théâtre et à l'Opéra (album classé n° 11, juin 1901) sont l'occasion de se mettre en scène et d'étaler sa réussite aux yeux de tous. C'est aussi l'époque des grands salons parisiens qui font la réputation des figures artistiques et mondaines de l'époque.

Sem installe avec assurance son dispositif à côté de la vision photographique, il montrera ce monde dans un raccourci graphique synthétique, qui englobe les signes d'une époque et le caractère de ses contemporains : le carnet, le crayon, l'œil et la main fébrile qui saisit l'instant. Il suit les parisiens et arpente tous les territoires où ils se montrent.

Le diorama de 1909, véritable panthéon moderne tentera de rendre compte de ce mouvement perpétuel qui anime cette société mondaine qui court d'un lieu de festivité à un autre, d'une villégiature à l'autre, d'une ville d'eau à l'autre jusqu'à la déclaration de guerre, dernier souffle de la Belle-Époque.

Françoise Gouyou-Beauchamps
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fsm Conception François San Millan et Martin Gouyou-Beauchamps
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